La peinture d'Elisabeth Gore vue par Denys-Louis
COLAUX
Je reviens à l'univers pictural abstrait d'Elisabeth
Gore, univers étrange, unique dans lequel j'aime m'immerger, m'absenter
au monde pour entrer dans la vibration presque immobile mais puissamment
sensible qu'il porte.
J'aime entrer dans ce monde de la nuance, des tons chauds, du dépaysement
accueillant. Ce monde d'une quête qui me hèle. Ce monde de signes
antédiluviens et récents, lointains et frais, issus de la mémoire
et de l'invention, de la création et du hasard, de la fouille archéologique
et du geste contemporain.
Pourtant, j'ai l'impression qu'un lent sablier orchestre la gestuelle
de la peintre, qu'un rythme lent mène son bras. J'ai l'impression
de deviner son souffle dans les signes qu'elle pose. Dans les indices
de sa quête. Dans le monde et en elle-même. Dans le désert et dans
l'oasis. En dehors de l'abondance, à l'écart des pullulements, dans
le précieux recueillement des traces infimes, des griffures, des caresses.
Petites houles, flux, reflux, dépôts, alluvions poétiques. J'entre
en étrangeté, mais une étrangeté hospitalière.
Je cherche à mettre des mots sur ce que je découvre sur ses surfaces
de tons chauds : une entomologie picturale, la traduction du souffle
en hiéroglyphes, l'essentiel établi dans l'infime, l'unité troublée,
émue par un dépôt. Ici, le geste méticuleux et l'aléatoire ont rendez-vous.
Il y a peut-être une magie, il y a une prise de risque, un abandon
de la boussole. Je crois trouver dans les mots une porte non pas d'entrée
car je suis déjà à l'intérieur mais la porte d'une chambre d'écho
où peut-être la peinture et moi pouvons tinter, résonner ensemble
: ici, on assiste à des dévoilements secrets.
On lève le voile sur un voile conducteur. Les traces vivantes semblent
alterner avec les fossiles, un petit essaim de globules de vie erre
dans le désert du monde, le sable et la sève s'entendent, coexistent.
Signer, dirait-on, c'est être dans l'oeuvre, c'est y établir sa discrète
mais radicale présence, c'est se confondre à elle dans un sertissage
intime.
L'oeuvre est une intimité qui respire à l'air libre. Ici, l'aventure
picturale est enclose dans les haies de l'intime et touche au terme
d'une ascension à la sensibilité universelle. Il y a un tour du monde,
un tour du temps au sein de l'être. L'infime et l'immense font poème
commun.
Denys-Louis Colaux est écrivain
et tient un site littéraire et poétique.
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C'est toujours plus compliqué qu'on ne le croit (Extraits)
Le titre que porte l'une des toiles exposées au MAMC à partir
d'aujourd'hui et jusqu'au 1er novembre résume assez bien la proposition
et le parcours d’Élisabeth Gore, mais il pourrait tout aussi bien
résumer le parcours de la plupart d'entre nous. Cette toile s'appelle
« C'est toujours plus compliqué qu'on ne le croit ». C'est, à
l'évidence, le cas de la plupart des occupations humaines. C'est
aussi, bien sûr, le cas de la création artistique et tout particulièrement
de la peinture.
Entreprendre de peindre, c'est, à très long terme, entreprendre
l'exploration d'un territoire intérieur dont on ne sait rien ou
presque lorsqu'on commence.
(...)
Élisabeth Gore est une obstinée, une jusqu’au-boutiste. Cette
exploration du territoire intérieur est l'affaire de sa vie. Elle
avance sans avoir le désir de réussir ni la crainte d’échouer;
elle accepte d’être qui elle est ou qui elle n'est pas encore.
Les titres de ses toiles n'ont naturellement rien d'anecdotique
et donnent une certaine idée de ce parcours et de sa difficulté.
En voici quelques uns:
- Météore déchu
- Le territoire abandonné
- Le noir qui n’effraye plus
- Au seuil du grand pays
- Vers une renaissance
- Naître malgré tout
- Recherche d'enracinement
- Emmener quelque part
Je vous propose d'accepter l'invitation qu'elle nous fait de nous
« emmener quelque part », de la suivre dans sa méditation silencieuse,
dans sa pérégrination entre les obstacles intérieurs de quelque
nature qu'ils soient, dans son aventure picturale et sa recherche
d'enracinement profond dans un territoire commun à l'humanité
toute entière, et dans sa quête sincère et ardente d'une sorte
de sensibilité universelle.
Paul Villain : commissaire d’exposition
du Musée d'Art Moderne et
Contemporain de Cordes sur Ciel
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