ELISABETH GORE
 
 
 
 
 

Article paru dans Miroir de l'Art #113



 

La peinture d'Elisabeth Gore vue par Denys-Louis COLAUX


Je reviens à l'univers pictural abstrait d'Elisabeth Gore, univers étrange, unique dans lequel j'aime m'immerger, m'absenter au monde pour entrer dans la vibration presque immobile mais puissamment sensible qu'il porte.
J'aime entrer dans ce monde de la nuance, des tons chauds, du dépaysement accueillant. Ce monde d'une quête qui me hèle. Ce monde de signes antédiluviens et récents, lointains et frais, issus de la mémoire et de l'invention, de la création et du hasard, de la fouille archéologique et du geste contemporain.

Pourtant, j'ai l'impression qu'un lent sablier orchestre la gestuelle de la peintre, qu'un rythme lent mène son bras. J'ai l'impression de deviner son souffle dans les signes qu'elle pose. Dans les indices de sa quête. Dans le monde et en elle-même. Dans le désert et dans l'oasis. En dehors de l'abondance, à l'écart des pullulements, dans le précieux recueillement des traces infimes, des griffures, des caresses. Petites houles, flux, reflux, dépôts, alluvions poétiques. J'entre en étrangeté, mais une étrangeté hospitalière.
Je cherche à mettre des mots sur ce que je découvre sur ses surfaces de tons chauds : une entomologie picturale, la traduction du souffle en hiéroglyphes, l'essentiel établi dans l'infime, l'unité troublée, émue par un dépôt. Ici, le geste méticuleux et l'aléatoire ont rendez-vous. Il y a peut-être une magie, il y a une prise de risque, un abandon de la boussole. Je crois trouver dans les mots une porte non pas d'entrée car je suis déjà à l'intérieur mais la porte d'une chambre d'écho où peut-être la peinture et moi pouvons tinter, résonner ensemble : ici, on assiste à des dévoilements secrets.

On lève le voile sur un voile conducteur. Les traces vivantes semblent alterner avec les fossiles, un petit essaim de globules de vie erre dans le désert du monde, le sable et la sève s'entendent, coexistent. Signer, dirait-on, c'est être dans l'oeuvre, c'est y établir sa discrète mais radicale présence, c'est se confondre à elle dans un sertissage intime.
L'oeuvre est une intimité qui respire à l'air libre. Ici, l'aventure picturale est enclose dans les haies de l'intime et touche au terme d'une ascension à la sensibilité universelle. Il y a un tour du monde, un tour du temps au sein de l'être. L'infime et l'immense font poème commun.


Denys-Louis Colaux est écrivain
et tient un site littéraire et poétique.
 

C'est toujours plus compliqué qu'on ne le croit (Extraits)



Le titre que porte l'une des toiles exposées au MAMC à partir d'aujourd'hui et jusqu'au 1er novembre résume assez bien la proposition et le parcours d’Élisabeth Gore, mais il pourrait tout aussi bien résumer le parcours de la plupart d'entre nous. Cette toile s'appelle « C'est toujours plus compliqué qu'on ne le croit ». C'est, à l'évidence, le cas de la plupart des occupations humaines. C'est aussi, bien sûr, le cas de la création artistique et tout particulièrement de la peinture.

Entreprendre de peindre, c'est, à très long terme, entreprendre l'exploration d'un territoire intérieur dont on ne sait rien ou presque lorsqu'on commence.

(...)

Élisabeth Gore est une obstinée, une jusqu’au-boutiste. Cette exploration du territoire intérieur est l'affaire de sa vie.  Elle avance sans avoir le désir de réussir ni la crainte d’échouer; elle accepte d’être qui elle est ou qui elle n'est pas encore.  Les titres de ses toiles n'ont naturellement rien d'anecdotique et donnent une certaine idée de ce parcours et de sa difficulté.

En voici quelques uns:
- Météore déchu
- Le territoire abandonné
- Le noir qui n’effraye plus
- Au seuil du grand pays
- Vers une renaissance 
- Naître malgré tout
- Recherche d'enracinement
- Emmener quelque part

Je vous propose d'accepter l'invitation qu'elle nous fait de nous « emmener quelque part », de la suivre dans sa méditation silencieuse, dans sa pérégrination entre les obstacles intérieurs de quelque nature qu'ils soient, dans son aventure picturale et sa recherche d'enracinement profond dans un territoire commun à l'humanité toute entière, et dans sa quête sincère et ardente d'une sorte de sensibilité universelle. 

Paul Villain : commissaire d’exposition
du Musée d'Art Moderne et
Contemporain de Cordes sur Ciel

 
 
 
Elisabeth Gore 2024
Photo: Xavier Blondeau